Sous silence

Un film de Ezara Ouasli-Petitjean

Ecole W et Assas Panthéon

10’11

Ça y est, ils l’ont finalement annoncé à la télé, les libertés individuelles, c’est terminé. Alya, 17 ans et sa mère sont en train de manger des coquillettes au gruyère sur le canap' du salon. Il est 19h38, un soir d’hiver comme un autre, avec son brouillard et sa solitude. À l’écran défilent les victoires sinistres du régime : arrestations massives de féministes, surveillance généralisée, caméras individuelles obligatoires jusque dans l’intimité du foyer. Sonia, hypnotisée par la propagande, force Alya à allumer sa caméra personnelle. Alya cède, blasée par l’absurdité étouffante de son quotidien.
Un soir bien banal, jusqu’à ce que l'ingestion d’une cuillère de pâtes en trop, finisse par faire remonter une réalité bien compliquée : Alya part subitement vomir aux toilettes. Dans son regard, on comprend qu’elle comprend : elle est enceinte. Sa mère ne détourne pas les yeux, trop occupée à ne pas louper une super info du JT de sa présentatrice préférée, pour prêter attention aux bruits de déglutition de sa fille, qu’elle entend depuis la cuisine. De toute façon, on entend tout dans un petit appartement. Alya respire un grand coup, elle va devoir trouver un moyen de s’en sortir seule. Une silhouette sombre et cauchemardesque, apparaît fugitivement, annonçant le cauchemar qui s'installe peu à peu dans sa réalité.
Il est maintenant 20h32, Alya sort de chez elle, pour rejoindre sa pote d’enfance. Elles sont seules là bas, comme d’hab, il fait froid, comme d’hab. Mais là, c’est pas comme d’hab. Alya, est cheloue, sa pote l’avait déjà pressenti quelques minutes plus tôt, au téléphone, lorsqu’elle lui avait donné rendez-vous. Habituellement, Alya ne parle pas d’elle : elle dit toujours que ça va, et évite de trop raconter sa life. Mais ce soir, la découverte de sa grossesse non désirée vient détraquer cet équilibre : elle ne peut plus refouler ses sentiments et rester en loup solitaire, il faut au moins qu’elle en parle à quelqu’un. Ainsi, il aura suffit que sa pote la questionne vite-fait sur son état, pour que, pour une fois, elle réponde honnêtement. Elle ne passe pas par quatre chemins : elle est enceinte : c’est la merde. Elle est activement à la recherche de ces groupes de discussions sur messagerie cryptée, dont elle a entendu parler, ceux qui donnent des adresses et des contacts pour régler le problème. Pendant qu’Alya lui explique sa situation, sa pote, lui, ne l'écoute pas, il calcule. Pas ce qu’il peut faire pour elle, mais ce que cela pourrait lui coûter, à elle. Le regard soudainement fuyant de sa pote lui fait comprendre que cette merde, elle va devoir l’affronter toute seule. Elle ne veut pas être mêlé à ses recherches illégales, ce n’est pas Alya qu’elle rejette, c’est l’idée même de s’impliquer. Alya n’a pas le temps de comprendre la réaction de sa pote que celle-ci se casse de l’arrêt de bus, la laissant seule, blasée plus que révoltée, sous le regard rieur et insistant de la silhouette dans l’ombre qui la traque à présent. Plus rien à faire ici, elle rentre chez elle.
Déçue, Alya finit par se terrer dans sa chambre, comme d’hab. Définitivement, elle ne pourra compter sur personne. Soulée, elle s’ouvre une première canette de bière, de sa sous-marque préférée, dont elle garde toujours un petit stock, juste au cas où c’est la merde. Casque sur les oreilles, elle boit en regardant le plafond. Le mal être qui avait déjà commencé à émerger en elle, combiné à une bière de trop, auront suffit à la faire vriller. La faire vriller assez pour qu’elle finisse par tenter de joindre son père, réflexe qui lui était encore inconnu en situation de détresse. Bien sûr, il ne répondra pas. Alors qu'elle sombre dans l'alcool, la silhouette cauchemardesque la poursuit désormais partout, en présence furtive, symbole de sa culpabilité et de son impuissance. Sa chambre est décidément trop oppressante, Alya se casse. Avec elle, elle chope furtivement quelques affaires dans son sac à dos : trois bières, deux tubes de peinture, un rouleau, son bigo et ses godasses.

Il est 00h38 lorsqu’elle arrive dans le quartier industriel de la ville, après une vingtaine de minutes de marche accompagnées d’une ou deux bières. Elle connaît les lieux comme sa poche, elle a l’habitude de s’y poser quand elle a besoin d’être solo. Arrivée à l’endroit habituel, elle se pose sur un bout de béton qui lui sert de banc, comme d’hab. Après quelques instants à réfléchir, c’en est trop, ça la démange, il faut qu’elle passe un appel. Comme elle ne s’y attendait pas, cette fois-ci, il décroche. Personne à qui parler, un père absent à engueuler, il n’en fallut pas plus pour qu’elle laisse s’exprimer sa rage, sous un sarcasme qu’on lui connaît bien. Trop bourrée, elle finit par arrêter le massacre et raccroche, pour brandir son énorme rouleau de peinture et ses tubes. Elle craque : sa colère, trop longtemps contenue, éclate sans filtre. Elle agit mécaniquement, poussée par une impulsion brute. Le rouleau de peinture frappe le mur, trace après trace, sans logique ni retenue. L'alcool amplifie ses gestes, efface toute lucidité. Sa vision se brouille. Elle s’effondre sur le sol, immobile, les yeux fixant le ciel vide. Le rouleau gît à côté d’elle, son œuvre terminée, un mélange de chaos et de rage figé dans la peinture.
Dans un état suspendu entre rêve et cauchemar, Alya rouvre péniblement les yeux sur une obscurité oppressante. Autour d’elle, le vide prend forme. L’ombre menaçante qui la poursuit, surgit lentement, silhouette spectrale aux mouvements saccadés et désarticulés. Chaque apparition la rapproche insidieusement, dans un ballet troublant et hypnotique. Son corps se contorsionne étrangement, créant une sensation de malaise grandissante. L’entité avance et recule, disparaît et réapparaît, tissant un piège d'ombres autour d'Alya. À mesure que la danse progresse, Alya perd toute notion du réel. La frontière entre elle et cette ombre devient floue, jusqu'à ce que, dans un geste ultime et étouffant, elle finisse par l'envelopper complètement, scellant ainsi une étreinte morbide, avant de disparaître subitement.
Nous reprenons 3 mois plus tard, toujours à 19h38 dans le même écran de télé que nous avions laissé plus tôt. Ce soir, quand ça zappe, c’est pour voir, comme d’habitude, se dessiner à l’écran le fameux JT que la mère aime tant. Nous sommes dans le salon habituel, un soir de coquillettes au gruyère comme les autres. Mais aujourd’hui est un jour de scoop spécial : la super brigade de sécurité numérique est parvenue à mettre la main sur de nombreux canaux de discussions cryptés qui pratiquaient des activités illégales. À cette annonce, on décèle la montée d’un stress dans les yeux d’Alya. Lorsque soudainement, trois coups secs retentissent derrière la porte. Sonia se lève de table pour aller ouvrir. Cette fois, ce sont des groupes d’avortements clandestins qui étaient visés. Ils en ont démantelé une vingtaine, et parmi eux, ils sont parvenus à identifier les profils de 254 personnes qui avaient intégré ces groupes. Pour plus de transparence et pour le devoir de vérité que les chaînes d’information en continue doivent au peuple, les pseudonymes seront divulgués. Derrière la porte, l’armée de gants en cuir, qui toquent actuellement de manière ferme, contre la porte d’entrée de l’appartement d’Alya, laisse place à trois agents de la sécurité nationale. Ils viennent réclamer Alya.
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À propos du concours

ARTE lance un concours de courts métrages de fiction (images en prises de vues réelles) réservés aux étudiants des écoles et universités de cinéma francophones. Vous êtes un.e étudiant.e d’une école ou université de cinéma francophone et vous avez réalisé un court-métrage dans le cadre de vos études. Ce concours est fait pour vous !
Appel à candidature pour des courts métrages de 15’ maximum réalisés après le 01/01/2023. Un jury professionnel remettra deux prix parmi les inscrits et le public pourra voter directement sur le site d’Arte pour élire ses deux films préférés. Le premier prix du jury sera acheté par Arte pour une diffusion dans Court-Circuit !

  • Les candidatures sont ouvertes du 19/03/2025 au 30/09/2025.
  • Les résultats seront annoncés le 27/10/2025.